Les dépenses de ma mère Suzanne Lesquoy: carnet n°51 du 26 août 1961 au 28 février 1962
Ce petit carnet à spirale de couverture verte mesure 7,5cm sur 12cm et comporte 34 pages. Au dos figure le prix: 0,50NF, car la France vient de convertir sa monnaie en Nouveaux Francs. Mais ma mère continuera encore de nombreuses années à compter et écrire en anciens francs. Je respecterai donc son choix.
Ce carnet couvre la fin de l'été puis l'automne 1961 et l'hiver 1962. Dans notre famille maternelle, mon oncle Pierre ("Pierrot") est rentré de son service militaire en Algérie (28 mois) et est revenu chez mes grands-parents Mangenot à qui il présentera, en août, sa future femme Arlette, connue là-bas (qu'il épousera à Toulon en 1962), et sa future belle-maman, Mme Brayer. Il travaille à l'usine, en attendant d'intégrer l'école de gendarmerie. Ma mère peut donc compter sur lui pour certains déplacements en voiture par exemple. Mon autre oncle, André, est militaire à Saintes.
Sur la première page de ce carnet figure le montant des allocations familiales: 26125Fr, ainsi que les congés payés octroyés fin août par la famille Grandjean: 5000Fr. Les allocations seront portées à 28345Fr fin janvier 1962. Au chapitre des aides, la ville de Longuyon nous offre un bon d'achat pour des chaussures le 6 septembre et 400kg de charbon (chez Cugnet) le 23 janvier.
Par son emploi de femme de ménage ma mère gagne 11635Fr en août, 10380Fr en septembre, 14930Fr en octobre, 13010Fr en novembre et 14150Fr en décembre 1961, puis 14850Fr en janvier et 12830Fr en février 1962.
Le 22 septembre 1961, mon frère Jean-Pierre chute en vélo et se casse le bras gauche (il est gaucher!) trois jours avant d'entrer au centre d'apprentissage de Lorraine-Escaut à Senelle, près de Longwy. Il doit porter un plâtre pendant six semaines. Il débutera néanmoins son pré-apprentissage comme dessinateur industriel en octobre et rapportera sa première paie fin octobre: acompte de 1000Fr, au tarif horaire de 26Fr, puis paie le 15 novembre de 1600Fr. Au 15 décembre: 5000Fr, au 15 janvier: 5600Fr, au 15 février: 4900Fr (7 jours de maladie). Mon frère termine le premier trimestre 4ème de sa classe avec une moyenne de 14,24/20 et se voit accorder une prime de 2490Fr avec un livre en cadeau.
Ce même mois de septembre, un des employeurs de ma mère, M. Aubry, déménage de Longuyon, où la famille habitait route de Colmey, et nous vend, à cette occasion, une cuisinière mixte, que ma mère paiera en plusieurs fois: 20000Fr le 11 septembre, 5100Fr le 3 janvier. Le 26 novembre, elle revend deux vieilles cuisinières pour 1000Fr au ferrailleur Demanet. Ma mère ne travaille plus alors que chez Adnot et Grandjean jusqu'en juillet 1962.
Fin 1961 nous recevons pour Noël plusieurs colis de victuailles, décrits dans le carnet de gains n°52 ; le plus imposant est celui offert par les familles de militaires canadiens en poste à Marville et habitant Longuyon. Je me souviens avoir vu cet énorme carton livré le jeudi 21 décembre chez ma grand-mère par une chaleureuse délégation canadienne. En plus de la nourriture, il y avait une station-service avec des voitures, un gant de base-ball avec une balle et des figurines de guignols en caoutchouc. Ma mère n'a pu s'empêcher d'évaluer le don : environ 10000Fr!
Le lendemain nous recevons le colis de l'association des Prisonniers de guerre puis le 30 décembre celui du bureau d'aide sociale de la ville de Longuyon. Nous participons à la fête de Noël de l'usine le mardi 26 décembre du côté de Longwy. Le 1er janvier 1961, notre oncle André Lesquoy nous donne 1000Fr d'étrennes lorsque nous allons souhaiter la bonne année. En février, nous recevons un avis de secours de 40000Fr de l'U.NI.R.S. et percevons du notaire, Me Vignot, une première tranche de 19640Fr au titre des dommages de guerre subis par ma grand-mère Lesquoy.