Les dépenses de ma mère Suzanne: carnet n°58 entre mai 1965 et février 1966
Ce carnet de couverture bleue mesure 9,3cm sur 14,5cm et comporte 38 pages. Il a coûté 0,29F à ma mère qui, elle, continue à noter ses achats en anciens francs. J'ai complété ces pages par celles de recettes (gains de Suzanne et de mes frères Jean-Pierre et René) extraites d'un gros agenda couvrant la période de janvier 1962 à février 1969. Et puis j'ai effectué des calculs de dépenses et recettes mensuelles entre mai 1965 et janvier 1966.
Plusieurs événements marquants ont lieu durant cette année 1965. Il faut noter tout d'abord que le S.M.I.G. horaire (salaire minimum garanti) franchit le cap des 2Fr en septembre 1965. Ma mère, elle, est payée autour de 2,20Fr de l'heure pour effectuer des ménages. Elle quitte un emploi chez Mme et M. Grandjean l'été 1965, suite à une dispute en avril avec ses employeurs, mais trouve deux nouvelles places, dès le moi de mai chez Mme Trussart, personne âgée qui habite à quelques dizaines de mètres de chez nous à Longuyon (1,25h de soins par jour, pour 3Fr) puis au central téléphonique (S.A.T.) route de Sorbey en juin (50h de ménage par mois à 2,30Fr de l'heure). Elle a perdu son emploi chez Mme et M. Adnot, partis de Longuyon pour Woippy en juillet. Ses revenus propres chutent donc à la rentrée 1965 et tournent autour de 210Fr mensuels.
Ma mère est parfois obligée de faire des dettes dans les magasins ou d'emprunter de l'argent pour boucler le mois, à ma grand-mère, mais aussi à Mme Trussart (100Fr plusieurs fois) ou Mme Silvestre, sommes qu'elle rembourse dès qu'elle en a les moyens. Elle note que le 31 juillet il lui reste 83,25Fr (8325AFr). Malgré ces faibles revenus, le foyer est imposable et il faut régler 80Fr pour le 15 octobre. Le loyer se monte à 31,62Fr à partir d'octobre. Mais bizarrement je n'en trouve pas de trace entre juin et septembre dans ce carnet ; probablement un oubli car je doute que ce soit un cadeau de la propriétaire, Mme Ponozni.
Mon frère Jean-Pierre, 18 ans, a réussi son C.A.P. de dessinateur industriel le 21 juin et est embauché comme agent d'études en août à l'usine Lorraine-Escaut de Senelle, pour un salaire net mensuel d'environ 700Fr. René, 16 ans, lui, est encore apprenti chaudronnier. Et moi, j'entre en septembre en classe de 6ème Classique au C.E.G. de la rue O'Gormann, après avoir passé le mois d'août en colonie de vacances au Haut-du-Tôt dans les Vosges. Ce même été, en juillet, Jean-Pierre a pu séjourner 15 jours en Corse avec six autres apprentis, en récompense de leur travail. Et René, lui, est allé, début août, en camp d'ado à Plougastel mais a été renvoyé au bout de six jours, pour cause de bêtises...
Le 12 octobre, ma grand-mère maternelle Lucile Mangenot,62 ans, fait une chute dans sa cave de la rue Foch et se casse une jambe. A la même époque, ma mère achète, avec la première paie de mon frère, une nouvelle cuisinière à charbon, de marque De Dietrich, à la quincaillerie Thore (710Fr). Au chapitre des aides, une somme de 250Fr est obtenue de l'usine Lorraine-Escaut en juin, puis 60Fr au titre des pupilles fin novembre. Puis en fin d'année, nous recevons un colis des militaires canadiens (basés à Marville mais logés à Longuyon) et un autre des services sociaux de la ville. Nous rapportons un appareil photo de l'arbre de Noël de l'usine. Ma marraine Marie Calon-Jean, cousine germaine de ma mère, m'offre un beau coffret de stylos. En janvier, ma mère perçoit un premier tiers, 156Fr, de ma bourse de collégien.