Marie Catherine Gobert (1867 – 1949) : histoire d’une longuyonnaise résiliente - 1ère partie
Je n’ai pas connu la mère de mon père. A son décès, le 23 janvier 1949 à Longuyon, ma mère, Suzanne Mangenot, 22 ans, et mon père, Jean Jules Lesquoy, 39 ans, élevaient mon frère Jean-Pierre, 20 mois. Mon frère, René, naîtrait en mars et moi, Gérard, je pointerais le bout de mon nez, et mes 4,5kg, cinq ans plus tard.
Alors je ne sais presque rien de cette dame, si ce n’est ce que ma mère m’en a raconté et ce que quelques précieuses photos peuvent évoquer. Je n’en sais pas beaucoup plus sur mon père, décédé le 5 août 1956 à 47 ans.
Mais j’ai consacré depuis trois ans des centaines d’heures à la généalogie de ma famille, surfant sur internet, fouillant les archives et exploitant le site Geneanet, et j’ai ainsi pu rassembler nombre de documents qui me permettent d'évoquer de manière chronologique la vie de ma grand-mère paternelle.
Depuis quelques décennies et notamment les travaux du neuropsychiatre Boris Cyrulnik, le terme de résilience ("renaître de sa souffrance") est sorti du cadre strict des sciences physiques, où il a une toute autre signification, pour devenir un mot commun ou presque, surtout depuis les vagues d’attentats qui ont endeuillé la France ces dernières années. Au point d’être repris par le gouvernement dans le titre d’un futur projet de loi sur le climat.
Alors, lorsque je me penche sur tout ce qu’a vécu ma grand-mère, je réalise que cette femme a subi nombre de traumatismes pendant les trois quarts de son existence et qu’elle trouvé la force de les surmonter. En 1943, à l’âge de 76 ans, et 60 ans après la naissance du premier de ses onze enfants, Marie-Catherine Gobert a perdu huit enfants et deux époux. Et un des trois survivants, mon père, est prisonnier de guerre au camp de Mösburg en Allemagne depuis trois ans et n’en reviendra qu’à la Libération, en 1945.
Je veux donc, en relatant les seuls faits et actes dont j’ai connaissance, rendre hommage à cette grand-mère forcément exceptionnelle.
Marie Catherine Gobert naît à Longuyon, en Meurthe-et-Moselle, le 6 mai 1867 de Jean Baptiste Gobert, 48 ans, originaire de Saint-Léger (Belgique) journalier et fondeur en fer, et Marie Jeanne Labbé, 36 ans, originaire de Longuyon, sans profession. Elle a deux frères, Jules, né le 24 août 1852, et Gabriel, né le 18 avril 1854. La famille habite alors rue Mazelle. Cette même année 1867, la ville, qui ne compte que 2300 habitants, inaugure un imposant hôtel-de-ville place Thiébault.
Le 28 juin 1882, Jules Gobert, tourneur sur bois et célibataire, décède à Longuyon dans sa trentième année. Son frère Gabriel, aubergiste à Cosnes-et-Romain, épouse Anne Emélie Amande à Viviers-sur-Chiers le 26 juin 1881. Un enfant, Gabriel, naît le 21 août 1882. Le père décède le 23 mars 1883 à Cosnes-et-Romain dans sa vingt-huitième année.
Le 13 juillet 1883, Reine Virgine Robin, sage-femme à Longuyon, accouche, au nouveau domicile des parents, rue de Beaulieu, Marie Catherine Gobert, seize ans, d'un enfant, Joseph Gobert. Ma future grand-mère, alors couturière, élève son fils naturel au domicile de ses parents. Son père Jean Baptiste Gobert meurt le 15 mai 1885 à son domicile de la rue de Beaulieu à 65 ans.
Le 20 avril 1887 à Longuyon, Claude Alfred Velter, 28 ans, originaire de Longuyon et chauffeur aux Chemins de fer de l'Est, fils des défunts Dominique Velter et Marie Claire Théâte, épouse Marie Catherine Gobert, pas encore 20 ans. Les mariés déclarent qu'il est né d'eux un enfant de sexe masculin, prénommé Joseph, le 13 juillet 1883, qu'ils reconnaissent pour leur fils.
Le 7 janvier 1888, rue de Beaulieu, Marie Catherine Velter met au monde un enfant sans vie de sexe féminin.
Le 8 mars 1892, à 4h du soir au nouveau domicile de la place Thiébault, naît Julie Marguerite Velter. Elle vit au domicile de sa grand-mère Marie Jeanne Labbé en 1911, comme en atteste le recensement de cette année-là. Elle épouse le 11 mai 1912 à Longuyon Paul Antona, 30 ans, employé des Chemins de fer d'origine corse. Elle décède à Paris le 3 janvier 1913 à l'âge de 20 ans.
Le 29 mai 1894, à 5h du matin au nouveau domicile de la rue Mazelle, naît Albert Camille Velter. Il vit lui aussi au domicile de sa grand-mère maternelle en 1911. Le 24 août 1914, la ville de Longuyon est pillée et incendiée à 80% par les troupes allemandes. 156 civils sont assassinés, dont Albert Camille Velter, 20 ans, mon oncle.
Le 6 octobre 1895 à 1h du matin, rue Mazelle, Reine Virginie Robin, sage-femme et épouse de Constant Guyot, accouche Marie Catherine Velter d'une fille prénommée Laure.
Le 27 septembre 1896, à 5h du soir, rue Mazelle, Marie Catherine Velter met au monde un enfant sans vie de sexe féminin.
Le 2 août 1897, à 6h du matin, rue Mazelle, Reine Virginie Guyot accouche Marie Catherine Velter d'une fille prénommée Marie Joséphine. Celle-ci vit chez sa grand-mère en 1911. Elle décède à Longuyon le 14 septembre 1913, à l'âge de 16 ans.
Le 6 juin 1898, à 8h du matin, Claude Alfred Velter, 38 ans, décède à son domicile rue Mazelle. Deux mois plus tard, le 19 août, ma grand-mère perd sa petite fille Laure, 2 ans et 10 mois.
A l'aube du 20ème siécle, celle qui nest pas encore la mère de mon père, est âgée de 33 ans, orpheline de père et veuve. Elle a vécu également le décès de ses deux frères aînés, a mis au monde sept enfants, en a perdu trois et élève seule les quatre autres: Joseph, 16 ans, Julie, 8 ans, Albert Camille, 6 ans et Marie Joséphine, 3 ans. J'ai connu, enfant, Joseph, prénommé ensuite Joseph Charles, qui décède à Longuyon le 18 décembre 1968. Il était le parrain de mon frère René Lesquoy (1949 - 2004).